Mission poussette pour la ministre de la mobilité

Circuler avec une poussette dans les transports en commun bruxellois est une mission délicate, voire périlleuse, qui continue à dissuader de nombreux parents de jeunes enfants de se lancer. Pour attirer l’attention sur leurs difficultés et appeler à intensifier les efforts de mise en accessibilité, la Ligue des familles a lancé un défi à la ministre de la Mobilité, Elke Van den Brandt…

 

Vous aimez vous faire piler, vous ? Bon, d’accord, on est prêt à supporter n’importe quelle humiliation pour venir à bout d’une partie de bataille qui n’en finit pas. Ou pour permettre à un(e) petit(e) de goûter aux délices de la victoire. Mais, franchement, avouez : en règle générale, c’est plus rigolo de gagner. Pourtant, nous sommes parfois désemparé(e)s face aux enfants qu’on dit mauvais perdants.  

 

Apprivoiser la frustration

 

À 8h30 le vendredi 22 septembre, la ministre bruxelloise de la Mobilité Elke Van den Brandt (Groen) avait rendez-vous place Flagey, à Ixelles, avec une petite équipe composée de journalistes, de collaboratrices de la Ligue des familles et de deux de leurs enfants : Elliot, 1 an, et Elinor, 4 ans.
Quelques minutes plus tard, la ministre se dirigeait vers l’arrêt de tram le plus proche, tenant la petite fille par la main et maniant la poussette de l’autre. Première difficulté du « parcours poussette » que lui a concocté la Ligue des familles : monter avec les deux enfants dans le tram 81. Un « vieux » tram. Ceux dont les portes sont trop étroites pour laisser entrer les poussettes larges. Heureusement, celle d’Elliot est une poussette-canne et Elke Van den Brandt arrive tant bien que mal à la hisser dans le tram. Afin d’avoir les mains libres, elle a d’abord fait monter Elinor, qui l’attend patiemment à l’intérieur et papote gaiement avec sa « fausse » maman..

 

« C’est une belle poussette et une jeune fille très indépendante, nous glissait la ministre quelques arrêts plus loin. J’ai connu pire avec mes enfants ! ». Les difficultés rencontrées ne la surprennent pas. Maman de deux ados d’âges rapprochés, elle se souvient très bien du temps où elle les emmenait à la crèche en transports en commun. À l’époque, elle habitait le centre-ville et prenait chaque matin, à l’heure de pointe, le métro et le bus avec une poussette double. « C’était l’horreur », résume-t-elle.

 

Une dizaine d’années se sont écoulées depuis, et les choses ont heureusement évolué. « Aujourd’hui, chaque nouveau véhicule est 100 % accessible, explique Christian de Strycker, Accessibility Manager à la STIB, également présent lors de l’action. Notre flotte actuelle se compose de 100% de métros et bus à plancher bas, accessibles ou praticables, et d’un peu plus de 55% de trams accessibles ».

Les anciens trams sont progressivement remplacés, précise de son côté la ministre : « La STIB fait preuve de beaucoup de volontarisme, mais cela prend du temps. Certaines voies ne sont pas encore adaptées techniquement. Et parallèlement à l’accessibilité, nous voulons augmenter la fréquence des transports en commun à Bruxelles. Il y a donc certaines heures où tout le matériel roulant doit être mobilisé, y compris les trams qui ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite ».

 

700 arrêts à rénover en priorité

Second défi du parcours : le bus 95, dans lequel nous avons croisé un jeune couple accompagné d’une petite fille en poussette. Bien que le véhicule soit équipé d’une zone réservée aux poussettes et chaises roulantes face à la porte, la maman nous confie ne prendre qu’exceptionnellement le bus et préférer la voiture quand elle est avec sa fille : « C’est trop compliqué. Il y a un décalage entre le trottoir et le bus et je dois souvent demander de l’aide pour pouvoir monter ».
Pour rendre les transports en commun accessibles à toutes et tous, il ne suffit pas de disposer de véhicules adaptés. Les arrêts aussi doivent être rénovés. La STIB en est bien consciente, confirme Christian de Strycker, qui se consacre depuis une dizaine d’années à la mise en accessibilité du réseau bruxellois : « La STIB poursuit un objectif de rénovation, d’ici 2030, de 50 arrêts par an parmi une liste de 700 arrêts prioritaires. Cet engagement, inscrit dans le plan stratégique de mise en accessibilité du réseau, a été concerté avec le secteur associatif et validé par Bruxelles Mobilité ». La liste d’arrêts prioritaires a été établie en tenant compte des pôles d’attractivité (arrêts très fréquentés, écoles, hôpitaux, centres commerciaux…) et de leur répartition géographique. L’idée étant de ne pas privilégier un quartier par rapport à un autre.

 

Un chantier qui concerne autant le matériel roulant que les infrastructures

 

En 2022, la STIB a réaménagé 77 arrêts. Mais, en pratique, tous ne relèvent pas de la liste d’arrêts prioritaires. « En 2020, sur les 71 arrêts rénovés, 36 étaient prioritaires. Et en 2021, sur les 95 arrêts rénovés, 37 étaient prioritaires, signale Alexandra Woelfle, chargée d’études à la Ligue des familles. Si la STIB continue à réaménager environ 35 arrêts prioritaires par an, il lui faudra 18 ans pour parvenir à son objectif ».
La Ligue des familles appelle ainsi l’entreprise de transports publics à se montrer plus ambitieuse encore et à « rendre accessibles aux poussettes et aux personnes à mobilité réduite chaque année minimum 100 arrêts et stations définis par la STIB comme prioritaires, tout en poursuivant la rénovation des arrêts non prioritaires et le remplacement du matériel roulant par des véhicules plus accessibles ».

 

 

 

Prendre le métro, un sport de haut niveau

Après être descendue du bus à deux pas du Palais royal, la ministre était invitée à prendre le métro à la station Parc, où de nouveaux obstacles l’attendaient. Car cette station n’est pas encore équipée d’ascenseurs à tous les niveaux. Elke Van den Brandt s’est donc mise à descendre les escaliers en portant seule la poussette et le petit Elliot, avant que quelqu’un lui propose de l’aide. Pendant ce temps, Elinor, se tenant à la rampe, descendait les marches de son côté. Un enfant plus turbulent, un parent moins en forme physiquement, et la mission devenait quasiment impossible.
Dans le métro, la conversation s’engageait avec une autre maman, qui circule régulièrement avec ses deux enfants ou seule avec son bébé dont les problèmes d’audition nécessitent de nombreux rendez-vous médicaux. « Je dois souvent demander de l’aide quand il n’y a pas d’escalator », nous disait-elle.
Les escalators, autre point compliqué. Ils sont interdits aux poussettes, pour des raisons de sécurité. Mais on est en droit de se demander s’il est réellement plus sûr d’escalader des dizaines de marches sans voir où on met les pieds, en portant une poussette et un bébé. Comme la plupart des parents, arrivée au pied d’une longue volée d’escaliers à la station Montgomery, la ministre est d’ailleurs tentée de choisir les escalators…
« Adapter totalement et le plus vite possible le réseau de métro et de pré-métro est aussi une priorité de la législature, explique-t-elle. La Ligue des familles a bien raison de mettre cela en lumière, parce que c’est extrêmement difficile de monter et descendre les escaliers en l’absence d’ascenseur. D’après ce que nous disent les parents, il y a à Bruxelles un public bienveillant de voyageurs et de voyageuses prêt·es à donner un coup de main, mais on ne peut pas systématiquement compter dessus. »
Au total, 55 stations de (pré)métro sur 69 sont aujourd’hui complètement équipées d’ascenseurs permettant d’accéder, de plain-pied et sans rupture, de la surface jusqu’aux quais. Les dernières en date sont les stations Madou et Jacques Brel. Les travaux, achevés cet été, ont coûté respectivement 2,6 et 2,1 millions d’euros. D’autres chantiers sont en cours. Et la ministre le reconnaît, les efforts doivent se poursuivre jusqu’au bout : « Si une seule station n’est pas adaptée, c’est tout le réseau qui est entravé ».

 

Pour une réelle alternative à la voiture

 

« En Région de Bruxelles-Capitale, 49 % des ménages sans enfant sont motorisés contre 66 % des ménages avec un enfant et 71 % des ménages avec deux enfants ou plus », peut-on lire dans un rapport publié en 2019 par l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (Focus n°32, Les ménages bruxellois et la voiture). En d’autres termes, un véritable glissement au profit de la voiture s’opère encore lorsque les Bruxellois·es deviennent parents, et encore plus à la naissance d‘un deuxième enfant.
Selon une étude publiée la même année par la Ligue des familles (Mobilité des parents : tais-toi et rame), 39% des parents bruxellois ayant des enfants de moins de 3 ans éprouvaient des difficultés à accéder aux quais et arrêts. Mais 83% des parents bruxellois étaient prêts à davantage prendre les transports en commun à condition d’en améliorer les performances, la fréquence, la desserte et l’accessibilité. De quoi encourager les acteurs de la mobilité à continuer à rendre les transports publics plus accessibles et sûrs, et ainsi proposer aux parents une réelle alternative à la voiture.
Suite à l’action, la ministre a réaffirmé sa conviction qu’« un transport public accessible est un droit » et a précisé qu’« un transport public qui est bien imaginé pour les personnes à mobilité réduite est plus accueillant pour tout le monde. Tôt ou tard, nous avons tous une mobilité réduite ». La STIB a pour sa part invité des représentantes de la Ligue des familles à venir présenter leurs demandes détaillées.